RevUE de la conférence d’Ilke Adam proposée par Éloïse Gagné

« Antiracisme en Europe : Politiques publiques et activisme », le 1er octobre 2024 avec Ilke Adam (Brussels School of Governance).

 

Le 1er octobre dernier, dans le cadre des conférences Simone Veil 2024-2025, Ilke Adam nous partageait un proverbe nigérien : « Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur ». Cet adage incarne l’idée centrale de son analyse des dynamiques du mouvement antiracisme en Europe : la nécessité de rendre visible une histoire longtemps passée sous silence. Le racisme, défini comme une construction sociale, a historiquement servi à légitimer diverses formes de domination, notamment à travers la colonisation. Il se manifeste à différents niveaux : individuel, institutionnel et structurel. Ce dernier niveau désigne un cadre où certaines populations sont systématiquement discriminées, par exemple dans l’accès à l’emploi, au logement ou à d’autres ressources sociales.

Au 20e siècle, en Europe, les questions de race et de racisme sont devenues taboues, en partie à cause de l’héritage du nazisme. Cet épisode est considéré comme une anomalie dans l’histoire européenne. Le discours dominant de l’époque insiste sur l’idée que ce chapitre sombre ne reflète pas l’essence du continent souvent présenté comme un défenseur des droits humains. Cependant, cela masque les discriminations persistantes qui existaient déjà et qui continuent d’exister.

Dans les années 1980, l’extrême droite fait son entrée au Parlement européen. On assiste à une résurgence de la violence raciste. À l’époque, aucune législation spécifique n’existe pour lutter contre ces actes. À partir de 1990, un changement s’amorce avec la reconnaissance que les actes racistes ne sont pas uniquement perpétrés par des groupes d’extrême droite. Ce qui n’empêche pas une croissance continue dans les attaques violentes, particulièrement en Allemagne.

Au début du 21e siècle, un tournant est marqué par l’adoption rapide de la directive 2000/43/EC sur l’égalité raciale, motivée par l’accession d’un parti d’extrême droite en Autriche. Bien qu’il s’agisse d’un progrès notable, la directive reste limitée dans sa portée, surtout au niveau des discriminations structurelles et des différences d’application entre les États membres.

En 2020, l’écho du mouvement Black Lives Matter, venu des États-Unis, exerce une pression sur l’UE. Dans un moment historique, Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, présente le plan d’action de l’UE contre le racisme. Pour la première fois, le racisme structurel et institutionnel est reconnu au sein de l’Union. Ce plan représente un changement de paradigme, marquant un passage d’une approche réactive à une tentative de s’attaquer aux injustices historiques, longtemps ignorées. Cependant, Ilke Adam souligne qu’il ne s’agit pas d’une « nouvelle vague » d’antiracisme, mais plutôt d’une évolution du leadership au sein du mouvement. Ce qui est aujourd’hui mis en lumière, c’est la voix des personnes directement concernées et des organisations militantes, qui étaient jusqu’alors marginalisées dans le débat public. La perspective dé-coloniale, bien que déjà présente, commence à trouver plus de résonance dans les discussions contemporaines.

À travers le projet First Waves, Ilke Adam participe à cette réappropriation en donnant une plateforme aux personnes issues des diasporas maghrébines et noires en Belgique. Cette initiative collaborative partage les histoires des pionniers qui ont lutté contre le racisme et les discriminations, des récits souvent laissés en du discours dominant. Il est, en effet, temps pour les lions d’écrire leur propre histoire.

Éloïse Gagné.



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