RevUE de la table ronde du CJMM et du CCÉAE proposée par Alexandre Cimetiere
« Entre Zeitenwende et Révolution : Analyse et résultats des élections allemandes », le 25 mars 2025 organisée par Johanna Daum (Université de Montréal) et Laurent Borzillo (École nationale d’administration publique).
Le 27 février 2022, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Olaf Scholz annonçait un « Zeitenwende » (changement d’époque) pour l’Allemagne, marquant un tournant radical en matière de sécurité, de défense et d’économie. Cette période a été caractérisée par une profonde transformation politique et économique, en particulier avec la première coalition tripartite de la République fédérale d’Allemagne (SPD, Verts, FDP), mais aussi par une montée des tensions internes.
Susanne Aschi, consule générale d’Allemagne à Montréal, souligne que la guerre en Ukraine a conduit l’Allemagne à revoir ses priorités en matière de défense, atteignant l’objectif des 2 % du PIB pour les dépenses militaires, et lançant un plan de réarmement avec un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour la Bundeswehr. Cela a permis à l’Allemagne de devenir le deuxième soutien militaire de l’Ukraine après les États-Unis. En parallèle, le pays a réussi à réduire sa dépendance au gaz russe en un temps record, un défi majeur qui a été soutenu par la population, bien que l’économie allemande ait stagné. Cette stagnation a alimenté un sentiment de crise économique constante, favorisant la polarisation politique et l’essor de l’AfD, notamment en ex-RDA, ainsi que l’émergence de nouveaux partis comme le Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW). La politique étrangère, la réforme économique et la gestion de la dette seront des enjeux clés pour le prochain gouvernement.
Marie Krpata (IFRI) rappelle que le contrat de coalition de 2021, qui se concentrait sur la transition écologique et la modernisation, a été largement mis de côté après la guerre en Ukraine. L’Allemagne a adopté une approche de « Realpolitik », en renforçant sa défense et en devenant un acteur majeur dans le soutien à l’Ukraine. Cependant, cette politique a également conduit à une série de décisions controversées, comme le « Doppelwumms », un plan de soutien économique de 200 milliards d’euros jugé unilatéral et déstabilisant pour l’UE. Sur le plan économique, l’Allemagne traverse une récession prolongée, avec une industrie automobile en difficulté et une économie fragilisée par des décisions politiques liées à l’énergie, contrastant avec des investissements massifs dans la défense.
Les élections de 2025 ont montré une forte polarisation de la scène politique allemande, selon Karim Fertikh (Sciences Po Strasbourg). L’AfD a doublé son score par rapport à 2021 et a atteint des niveaux comparables à ceux des droites populistes européennes. Die Linke a également surpris en dépassant les 10 %, alors que les sondages la donnaient sous les 5 %. Le BSW, quant à lui, a frôlé les 5 %. Cette montée des extrêmes est le reflet d’une défiance croissante envers les partis traditionnels et de la difficulté à former une majorité stable dans un contexte économique difficile et de politique étrangère jugée insuffisante.
L’avenir de l’Allemagne semble incertain. Christian Leuprecht met en garde contre les effets de cette crise de confiance, avec des décisions économiques et énergétiques jugées inefficaces et opportunistes. L’AfD et le BSW exercent une pression croissante pour un rapprochement avec la Russie, notamment sur les questions énergétiques, alors que les coûts énergétiques continuent d’exploser. Le positionnement de Friedrich Merz, en faveur d’une Europe plus indépendante de la protection américaine, et la nécessité de renforcer la défense européenne, notamment avec un parapluie nucléaire, sont des questions cruciales pour l’avenir. Toutefois, la capacité de l’Allemagne à réconcilier ses intérêts économiques, en particulier vis-à-vis de la Chine, avec ses engagements européens demeure un défi majeur.
Alexandre Cimetiere.