RevUE du lancement du livre d’Alexandra Ana proposée par Alexandre Cimetiere
« The NGOization of Social Movements in Neoliberal Times », le 20 mars 2025 avec Alexandra Ana (Université de Montréal), Pascale Dufour (université de Montréal), Nora Nagels (Université du Québec à Montréal) et Danielle Coenga-Oliveira (Université de Montréal).
« L’ONG-isation de la politique menace de transformer la résistance en un travail courtois, raisonnable, payé, et en 35 h. Avec quelques bonus en plus. La vraie résistance a de vrais coûts. Et aucun salaire », dénonçait alors Arundhati Roy dans un discours en 2004, cité par Alexandra Ana, autrice du livre présenté ce jour. Dans son ouvrage, Ana explore, à sa manière, des débats déjà avancés dans la littérature scientifique sur les mouvements sociaux, les communautés LGBTQIA+, les groupes féministes et analyse le phénomène d’ONG-isation dont ils font l’objet depuis les années 1980. Cette thèse ambitieuse, au croisement entre deux pays aux histoires très différentes, la Roumanie et la Belgique, invite à étudier ce sujet sous un angle multidisciplinaire, de la sociologie des organisations à l’institutionnalisme historique en passant par la politique comparée.
Alexandra Ana donne l’exemple de la consolidation d’un féminisme institutionnel, les États ayant été poussés à créer des agences pour l’égalité des genres qui ont permis aux militantes de s’engager dans la politique officielle et d’avoir un impact sur les politiques publiques. Ces transformations ont suscité de nombreuses critiques, ce processus étant assimilé à une cooptation et à des logiques institutionnelles et de marché. Dans cet ouvrage, Alexandra Ana a cherché à comprendre le processus d’ONG-isation, de bureaucratisation, d’institutionnalisation, de précarisation et de cooptation. Pour ce faire, elle a mené une étude comparative entre la Roumanie et la Belgique francophone, organisant des entrevues et des enquêtes sur le terrain qui ont nourri sa réflexion et qui sont au cœur de sa thèse.
D’une part, Alexandra Ana explique que le retour des mobilisations de masse (Argentine en 2015, Pologne en 2016, MeToo en 2017) a remis en question cette démobilisation. D’autre part, on a expérimenté une consolidation des campagnes anti-genre (« Manif pour tous » en France, interdiction des études de genre en Roumanie et en Pologne, interdiction d’éducation sexuelle…) : certains parlent d’une fermeture sélective de l’espace de la société civile. L’autrice invite donc à repenser l’idée de cooptation des mouvements sociaux.
Nora Nagels, professeure en développement et politique internationale spécialisée sur les objectifs d’égalité de genre en politique sociale en Amérique latine (Mexique, Brésil, Pérou, Bolivie, Costa Rica), a trouvé la démarche d’Ana très originale. En effet, l’accès à des financements internationaux a été le moteur de certains mouvements féministes au Pérou et en Bolivie pour s’ONG-iser. Nora Nagels souligne alors le caractère transnational d’un processus visible « au Nord comme au Sud ». Nora Nagels félicite Alexandra Ana pour être restée « proche de l’institutionnalisme historique et attentive à l’agencéité des acteurs et aux structures qui les encadrent ». Elle conclut en soulignant la centralité de la professionnalisation sur le sujet (création de masters en études du genre/études féministes ; création du métier d’experte de genre en Roumanie).
« Les groupes communautaires ont obtenu de l’État une autonomie politique et financière », a souligné Pascale Dufour, professeure en science politique et spécialiste des mouvements sociaux et de l’action collective. Ce débat reste discutable en ce qui concerne l’autonomie financière, d’après Danielle Coenga Oliveira. Pascale Dufour a conclu son propos par un comparatif intéressant avec le Québec, où l’institutionnalisation de mouvements sociaux ne signifie pas une déradicalisation, notamment dans le secteur de l’éducation postsecondaire.
Alexandre Cimetière.