RevUE du lancement du livre d’Alexandra Ana proposée par Nélia Dondrille
« The NGOization of Social Movements in Neoliberal Times », le 20 mars 2025 avec Alexandra Ana (Université de Montréal), Pascale Dufour (université de Montréal), Nora Nagels (Université du Québec à Montréal) et Danielle Coenga-Oliveira (Université de Montréal).
« The NGOization of Social Movements in Neoliberal Time » est le nouveau livre d’Alexandra Ana, présenté lors de son lancement ce jeudi 20 mars, à l’occasion d’une conférence animée par Danielle Coenga-Oliveira et réunissant l’autrice, Alexandra Ana, ainsi que deux professeures invitées : Pascale Dufour et Nora Nagels. À travers cet échange, les intervenantes ont pu explorer en profondeur les dynamiques complexes des mouvements sociaux, en particulier féministes, à l’ère néolibérale. S’appuyant sur sa thèse comparant l’Albanie et la Belgique francophone, Alexandra Ana met en lumière une démobilisation et une dépolitisation des mouvements sociaux depuis les années 1980, corrélées avec des transformations majeures telles que l’européanisation et la démocratisation.
Un concept central du livre et de la discussion est celui de « l’ONGisation », défini comme le transfert progressif des activités et des logiques d’action des mouvements sociaux vers des organisations non gouvernementales. Cette évolution, bien souvent perçue comme synonyme d’institutionnalisation, de précarisation, de professionnalisation et de bureaucratisation, a été démystifiée et nuancée par les conférencières, qui ont souligné que ces processus, loin d’être uniformes, peuvent générer des effets paradoxaux. Par exemple, la professionnalisation, avec la création de métiers dédiés aux questions de genre, peut mener à une dépolitisation, mais elle peut également ouvrir de nouvelles voies de politisation. De la même manière, la bureaucratisation, bien que dépendante des règles, peut paradoxalement voir celles-ci être instrumentalisées, négociées ou contournées par les mouvements. Alexandra Ana a notamment illustré son propos en étudiant comment l’institutionnalisation du féminisme a pu créer une « fenêtre d’opportunité » pour le mouvement, lui conférant une certaine légitimité pour exister une fois reconnu. Elle note également que l’engagement dans la sphère institutionnelle donne accès à des informations importantes, un aspect que les militantes roumaines, par exemple, ont valorisé, tout en déplorant parfois le manque de participation dans les arènes politiques. Inversement, face à des gouvernements conservateurs, cet engagement peut devenir plus difficile, nécessitant de nouvelles stratégies d’action.
La conférence a souligné le défi pour les mouvements sociaux de concilier institutionnalisation et capacité de mobilisation critique, surtout dans un contexte néolibéral où les logiques de marché peuvent orienter leurs priorités et stratégies. La discussion a également mis en avant la capacité d’adaptation et de renouvellement des mouvements sociaux face à ces enjeux. L’émergence de nouvelles mobilisations de masse, comme celles en Argentine, en Pologne, ou encore des mouvements comme #MeToo, illustrent cette capacité à évoluer malgré les processus d’ONGisation. D’autre part, la multiplication de campagnes anti-genre rappelle la nécessité pour les mouvements féministes de constamment adapter leurs stratégies.
Pour conclure, la conférence a insisté sur la nécessité d’éviter les jugements simplistes sur l’ONGisation et sur l’importance de procéder à une analyse fine et contextualisée des dynamiques à l’œuvre dans chaque pays et au sein de chaque mouvement social. La question de savoir s’il vaut mieux être « assis à la table des négociations » ou former des « résistants », comme formulée par Madame Pascale Dufour, reste cruciale pour l’avenir des mouvements de droits.
Nélia Dondrille.